L’agriculture et l’élevage se trouvent au cœur des défis environnementaux du XXIe siècle. Face aux besoins alimentaires d’une population mondiale croissante, deux modèles s’opposent : l’élevage intensif, caractérisé par une forte concentration d’animaux sur des espaces restreints, et l’élevage extensif, privilégiant des surfaces plus vastes avec moins d’animaux. Cette dualité soulève des questions fondamentales sur notre rapport à la nature, à la consommation et au bien-être animal. Les impacts écologiques de ces deux approches diffèrent considérablement en termes d’émissions de gaz à effet de serre, de biodiversité, d’utilisation des ressources et de qualité des produits finaux.
Les fondamentaux des deux modèles d’élevage
L’élevage intensif se définit par une production maximale sur un espace minimal. Ce modèle, développé après la Seconde Guerre mondiale, vise une rentabilité optimale en concentrant un grand nombre d’animaux dans des espaces confinés. Les animaux reçoivent une alimentation standardisée, souvent importée (comme le soja brésilien), et leur cycle de vie est accéléré grâce à la sélection génétique et parfois l’utilisation d’hormones de croissance dans certains pays.
À l’opposé, l’élevage extensif s’appuie sur des pratiques plus traditionnelles où les animaux disposent d’espaces plus vastes, généralement en plein air. Ce système utilise principalement les ressources naturelles locales comme les prairies et les pâturages. Les animaux grandissent à un rythme plus naturel et leur alimentation provient majoritairement des terres qu’ils occupent.
Caractéristiques distinctives
- L’élevage intensif privilégie la productivité et la standardisation
- L’élevage extensif favorise l’adaptation aux écosystèmes locaux
- Le premier nécessite des infrastructures sophistiquées et coûteuses
- Le second repose davantage sur les connaissances traditionnelles et l’observation
Ces différences fondamentales influencent directement l’empreinte écologique de chaque modèle. L’intensif consomme moins d’espace mais plus d’intrants (eau, énergie, produits vétérinaires), tandis que l’extensif utilise plus de terres mais moins d’intrants artificiels. La France présente un paysage agricole mixte, avec une prédominance de l’élevage intensif dans certaines régions comme la Bretagne pour la production porcine, et des systèmes extensifs dans des zones comme le Massif Central pour l’élevage bovin.
Impact sur les émissions de gaz à effet de serre
Le secteur de l’élevage représente environ 14,5% des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) d’origine humaine selon la FAO. Toutefois, cette contribution varie considérablement selon le type d’élevage pratiqué.
L’élevage intensif génère d’importantes émissions de méthane (CH₄) liées à la fermentation entérique des ruminants et à la gestion des déjections concentrées. Ces émissions sont amplifiées par la densité élevée d’animaux. Parallèlement, ce modèle engendre des émissions indirectes substantielles dues à la production d’aliments concentrés, leur transport sur de longues distances, et la consommation énergétique des bâtiments climatisés.
L’élevage extensif présente un bilan plus nuancé. Si les ruminants en pâture émettent toujours du méthane, certaines études montrent que les prairies permanentes peuvent séquestrer du carbone dans le sol, compensant partiellement ces émissions. Une recherche menée par l’INRAE a démontré qu’une prairie bien gérée peut stocker jusqu’à 500 kg de carbone par hectare et par an.
Le cas spécifique des ruminants
Les bovins et ovins représentent un cas particulier dans cette analyse. Leur système digestif produit naturellement du méthane, un gaz à effet de serre 25 fois plus puissant que le CO₂ sur une période de 100 ans. Cependant, des recherches récentes suggèrent que certaines pratiques comme l’ajout d’algues dans l’alimentation ou la sélection génétique peuvent réduire ces émissions de 30 à 40%.
Il convient néanmoins de considérer l’ensemble du cycle de vie des produits. Une étude comparative menée en Europe a montré qu’un kilogramme de bœuf issu d’élevage intensif peut générer moins d’émissions qu’un kilogramme issu d’élevage extensif si l’on considère uniquement le rapport émissions/productivité. Toutefois, cette analyse ne prend pas en compte la séquestration carbone des prairies ni les autres services écosystémiques fournis par l’élevage extensif.
Biodiversité et écosystèmes
L’impact sur la biodiversité constitue l’une des différences les plus marquées entre les deux modèles d’élevage. L’élevage intensif, par sa nature même, réduit considérablement la diversité biologique. La concentration d’animaux sur des espaces restreints crée des environnements homogènes où la faune et la flore sauvages peinent à subsister. La monoculture destinée à l’alimentation animale (maïs, soja) remplace des écosystèmes variés par des paysages uniformes.
En revanche, l’élevage extensif peut jouer un rôle positif dans le maintien de la biodiversité. Les prairies permanentes associées à ce type d’élevage constituent des habitats précieux pour de nombreuses espèces. Dans des régions comme les Alpes ou les Pyrénées, le pâturage extensif contribue à maintenir des paysages ouverts favorables à une flore diversifiée. Une étude menée dans le Massif Central a identifié jusqu’à 60 espèces végétales différentes par mètre carré dans certaines prairies extensives, contre moins de 10 dans des parcelles cultivées intensivement.
Préservation des races locales
L’élevage extensif favorise généralement la conservation de races locales adaptées à leur environnement. Ces animaux, comme la vache Salers ou la brebis Lacaune, possèdent une diversité génétique précieuse et des capacités d’adaptation aux conditions locales. À l’inverse, l’élevage intensif s’appuie sur un nombre restreint de races hautement productives mais standardisées, comme la vache Holstein pour la production laitière.
L’impact sur les écosystèmes aquatiques mérite une attention particulière. L’élevage intensif génère des concentrations élevées de déjections qui, mal gérées, peuvent provoquer l’eutrophisation des cours d’eau par excès de nitrates et phosphates. Ce phénomène a été particulièrement documenté en Bretagne, où l’intensification de l’élevage porcin a contribué à la prolifération d’algues vertes sur le littoral. L’élevage extensif, dilué sur des surfaces plus importantes, présente généralement moins de risques de pollution concentrée des eaux.
Utilisation des ressources et efficience
La question de l’efficience dans l’utilisation des ressources constitue un argument souvent avancé en faveur de l’élevage intensif. Ce modèle nécessite moins de surface par kilogramme de viande ou litre de lait produit. Un poulet de chair élevé en système intensif peut atteindre son poids d’abattage en 35 jours, contre 81 jours minimum pour un poulet en élevage extensif labellisé. Cette productivité supérieure semble, à première vue, plus économe en ressources.
Toutefois, cette analyse doit être nuancée par la prise en compte de l’ensemble des ressources mobilisées. L’élevage intensif consomme davantage d’eau par unité de surface (pour le nettoyage des bâtiments et l’irrigation des cultures fourragères), plus d’énergie (ventilation, chauffage, transport d’aliments) et dépend fortement d’intrants extérieurs comme les aliments concentrés et les produits vétérinaires.
L’élevage extensif valorise des terres souvent impropres à d’autres usages agricoles. Dans des régions comme les Causses ou les Alpes, les troupeaux transforment des ressources végétales non consommables par l’homme en protéines de haute valeur nutritionnelle. Une étude de l’INRAE a démontré que près de 40% des surfaces agricoles françaises sont des prairies permanentes qui ne pourraient être converties en cultures sans impact environnemental majeur.
La question de l’autonomie alimentaire
- L’élevage intensif dépend largement d’importations (soja, maïs)
- L’extensif s’appuie davantage sur les ressources fourragères locales
- La compétition avec l’alimentation humaine varie selon les systèmes
Le débat sur l’efficience doit intégrer la notion de résilience face aux crises. La pandémie de COVID-19 a mis en lumière la vulnérabilité des systèmes intensifs dépendants d’approvisionnements mondialisés. Les systèmes extensifs, plus autonomes, ont généralement mieux résisté aux perturbations logistiques, illustrant une forme différente d’efficience basée sur l’adaptation plutôt que sur la maximisation de la production.
Vers des modèles d’élevage écologiquement soutenables
Face aux défis environnementaux et climatiques, ni l’élevage intensif conventionnel ni l’élevage extensif traditionnel ne constituent des réponses parfaites. L’avenir réside probablement dans l’émergence de systèmes hybrides intégrant les avantages de chaque approche tout en minimisant leurs inconvénients respectifs.
L’agroécologie offre un cadre conceptuel prometteur pour cette évolution. Cette approche vise à concevoir des systèmes d’élevage qui s’inspirent du fonctionnement des écosystèmes naturels tout en maintenant une productivité satisfaisante. Des pratiques comme le pâturage tournant dynamique, développé par le biologiste André Voisin, permettent d’optimiser l’utilisation des prairies tout en favorisant leur régénération naturelle et la séquestration de carbone.
La recherche explore des voies innovantes comme les systèmes polyculture-élevage qui réintègrent animaux et cultures dans une même exploitation, créant des synergies bénéfiques : les animaux fertilisent les sols et consomment les résidus de culture, tandis que les cultures fournissent une partie de l’alimentation animale. Ces systèmes circulaires réduisent les besoins en intrants extérieurs et limitent les impacts environnementaux.
Le rôle des politiques publiques
Les politiques agricoles jouent un rôle déterminant dans l’orientation des systèmes d’élevage. La Politique Agricole Commune (PAC) européenne évolue progressivement vers une meilleure prise en compte des services environnementaux rendus par l’agriculture. Les paiements pour services environnementaux (PSE) constituent un levier prometteur pour valoriser financièrement les pratiques d’élevage favorables à la biodiversité et au climat.
Les labels et certifications permettent aux consommateurs d’identifier et de soutenir des pratiques d’élevage plus respectueuses de l’environnement. Au-delà des labels biologiques, des initiatives comme le Label Rouge en France ou les indications géographiques protégées (IGP) valorisent des pratiques d’élevage souvent plus extensives et ancrées dans les territoires.
Une évolution des régimes alimentaires vers une consommation plus modérée mais de meilleure qualité pourrait permettre de réduire la pression productive sur les élevages. Ce scénario « moins mais mieux » offrirait une voie médiane entre la nécessité de nourrir une population mondiale croissante et l’impératif de préserver notre environnement pour les générations futures.
