
Face à l’appauvrissement croissant des terres agricoles, les agriculteurs se tournent vers des pratiques alternatives pour régénérer leurs sols. Parmi ces méthodes, les engrais verts s’imposent comme une technique ancestrale remise au goût du jour. Ces cultures intermédiaires, semées entre deux cultures principales, ne sont pas destinées à être récoltées mais à être incorporées au sol. Leur objectif? Améliorer la structure du sol, stimuler l’activité biologique, fixer l’azote atmosphérique et lutter contre l’érosion. À l’heure où l’agriculture durable devient une nécessité, examinons comment ces plantes peuvent contribuer à restaurer la fertilité de nos terres cultivées.
Principes fondamentaux des engrais verts
Les engrais verts sont des cultures spécifiquement semées pour être restituées au sol. Contrairement aux cultures classiques, leur finalité n’est pas la production de denrées alimentaires mais l’amélioration des propriétés physiques, chimiques et biologiques du sol. Cette pratique s’inscrit dans une démarche d’agriculture régénérative, visant à restaurer plutôt qu’à exploiter.
Le mécanisme principal repose sur la biomasse produite. Une fois la plante broyée et enfouie, sa décomposition libère des éléments nutritifs et de la matière organique dans le sol. Les microorganismes du sol, véritables artisans de la fertilité, se nourrissent de cette matière et prolifèrent, dynamisant l’écosystème souterrain.
Diverses familles botaniques peuvent servir d’engrais verts, chacune apportant des bénéfices spécifiques. Les légumineuses (trèfle, vesce, féverole) fixent l’azote atmosphérique grâce à leur symbiose avec des bactéries. Les crucifères (moutarde, radis) développent des racines profondes qui décompactent le sol. Les graminées (seigle, avoine) produisent une biomasse abondante et structurent le sol grâce à leur système racinaire fasciculé.
Cycle de vie d’un engrais vert
Le processus comprend plusieurs phases : semis après la récolte principale, croissance pendant la période d’interculture, destruction avant maturité des graines (par broyage, roulage ou gel hivernal), puis décomposition dans le sol. La durée de culture varie de quelques semaines à plusieurs mois selon l’espèce et les objectifs recherchés.
Cette technique, loin d’être nouvelle, était pratiquée dans l’Antiquité. Les agriculteurs romains incorporaient déjà des légumineuses dans leurs rotations pour maintenir la fertilité des terres. Après avoir été partiellement oubliée à l’ère des engrais chimiques, elle connaît aujourd’hui un renouveau significatif dans le contexte de l’agriculture durable.
Bénéfices multiples pour la restauration des sols
L’utilisation des engrais verts génère de nombreux avantages pour les sols dégradés. Leur impact positif s’observe tant sur la structure physique que sur la composition chimique et l’activité biologique.
Sur le plan structural, les racines des engrais verts agissent comme des agents décompactants naturels. Des espèces comme le radis chinois peuvent pénétrer jusqu’à 2 mètres de profondeur, créant des galeries qui favorisent l’infiltration de l’eau et la circulation de l’air. Cette action mécanique améliore la porosité du sol, réduisant les risques d’asphyxie racinaire pour les cultures suivantes. La phacélie, avec son système racinaire ramifié, stabilise efficacement les agrégats du sol.
Du point de vue chimique, ces cultures intermédiaires enrichissent le sol en éléments nutritifs. Les légumineuses peuvent fixer jusqu’à 200 kg d’azote par hectare, réduisant considérablement les besoins en fertilisation. Le sarrasin excelle dans la mobilisation du phosphore peu disponible, tandis que les crucifères captent efficacement le soufre et préviennent son lessivage.
- Protection contre l’érosion (couverture du sol)
- Stimulation de la vie microbienne
- Réduction du lessivage des nitrates
- Amélioration de la capacité de rétention d’eau
L’impact sur la biodiversité du sol est remarquable. La biomasse enfouie constitue une nourriture privilégiée pour les vers de terre et les microorganismes, dont la population peut augmenter de 30 à 40% après un cycle d’engrais vert. Ces organismes produisent à leur tour des substances agrégatives qui améliorent la structure du sol.
En matière de lutte contre les changements climatiques, les engrais verts contribuent à la séquestration du carbone. Une étude menée par l’INRAE montre qu’une culture intermédiaire peut stocker entre 0,1 et 0,3 tonne d’équivalent CO2 par hectare et par an dans le sol, participant ainsi à l’atténuation du réchauffement global.
Choix stratégique des espèces selon les besoins
La sélection des espèces végétales pour servir d’engrais verts représente une décision stratégique qui doit prendre en compte de multiples facteurs : objectifs de restauration, type de sol, durée disponible et cultures suivantes.
Pour enrichir un sol pauvre en azote, les légumineuses s’imposent comme le choix optimal. Le trèfle incarnat peut fournir jusqu’à 150 kg d’azote par hectare, tandis que la féverole excelle dans les sols lourds grâce à ses racines robustes. La luzerne, avec son système racinaire profond, mobilise les éléments nutritifs des couches inférieures du sol, les rendant accessibles aux cultures suivantes.
Face à un sol compacté, les plantes à racines pivotantes comme le radis fourrager ou la moutarde blanche représentent des alliés précieux. Leur capacité à percer les couches denses crée une porosité verticale bénéfique. Dans les régions méridionales, le sorgho fourrager produit un système racinaire puissant capable de restructurer efficacement les sols tassés.
Mélanges d’espèces : la synergie au service du sol
Les mélanges d’espèces offrent des avantages supérieurs aux cultures monospécifiques. Une association judicieuse combine souvent légumineuses et graminées ou crucifères. Par exemple, le mélange avoine-vesce associe la production de biomasse importante de l’avoine avec la fixation d’azote de la vesce. Le mélange biomax, associant jusqu’à 12 espèces différentes, maximise les services écosystémiques rendus.
La durée d’interculture influence fortement le choix des espèces. Pour les périodes courtes (2-3 mois), la moutarde ou le sarrasin à croissance rapide sont privilégiés. Pour les périodes longues, le seigle ou le trèfle violet offrent une couverture durable du sol.
Il faut tenir compte des potentiels effets allélopathiques sur les cultures suivantes. Par exemple, les résidus de seigle peuvent inhiber la germination de certaines adventices, mais aussi potentiellement celle des petites graines comme la carotte. Cette propriété peut être utilisée stratégiquement dans une approche de gestion intégrée des adventices.
Techniques de gestion et incorporation au sol
La réussite d’un engrais vert dépend largement des techniques employées pour sa mise en place, son développement et son incorporation au sol. Chaque étape requiert une attention particulière pour optimiser les bénéfices.
L’implantation commence par un semis soigné. Les densités varient considérablement selon les espèces : de 5-10 kg/ha pour la phacélie à 100-150 kg/ha pour certaines céréales. La période de semis doit être adaptée au cycle de la plante et aux conditions climatiques locales. En France métropolitaine, les semis de fin d’été (août-septembre) permettent généralement un bon développement avant les premiers froids.
La destruction de l’engrais vert constitue une étape déterminante. Elle doit intervenir avant la montée à graines pour éviter tout risque de ressemis involontaire. Plusieurs méthodes existent :
- Broyage mécanique (gyrobroyeur, broyeur à fléaux)
- Roulage avec un rouleau destructeur type rouleau FACA
- Destruction naturelle par le gel pour les espèces sensibles
- Fauchage et utilisation en paillis (mulch)
L’incorporation des résidus demande une réflexion sur la profondeur de travail. Un enfouissement superficiel (5-10 cm) favorise une décomposition aérobie rapide, tandis qu’un enfouissement plus profond ralentit le processus mais peut être préférable dans certains contextes. Le timing entre destruction et semis de la culture suivante joue un rôle crucial : de 2-3 semaines pour les espèces à décomposition rapide à 4-8 semaines pour les espèces ligneuses.
Adaptation aux systèmes de culture
En agriculture biologique, l’incorporation peut se faire par un travail superficiel du sol avec des outils à dents ou à disques. En système de non-labour, les résidus laissés en surface forment un mulch protecteur. Le semis direct dans ce couvert végétal mort nécessite des semoirs spécifiques capables de traverser la couche de résidus.
La gestion de l’azote mérite une attention particulière. L’incorporation d’une biomasse riche en carbone (graminées matures) peut temporairement immobiliser l’azote du sol (« faim d’azote »). Pour éviter ce phénomène, la destruction est recommandée au stade jeune ou en association avec des légumineuses pour équilibrer le rapport carbone/azote.
Vers une agriculture régénérative : défis et perspectives d’avenir
L’intégration des engrais verts dans les systèmes agricoles modernes représente un pilier fondamental de l’agriculture régénérative. Cette approche holistique vise à restaurer les écosystèmes agricoles tout en maintenant une productivité satisfaisante. Néanmoins, plusieurs défis persistent pour une adoption plus large de ces pratiques.
Les contraintes technico-économiques constituent souvent un frein. Le coût des semences, estimé entre 30 et 150€/ha selon les espèces et mélanges, représente un investissement initial significatif. S’ajoutent les frais d’implantation et de destruction. Toutefois, une analyse économique complète doit intégrer les économies réalisées sur les intrants (engrais, produits phytosanitaires) et l’amélioration du rendement des cultures suivantes. Des études de l’ADEME montrent qu’un gain de 3 à 5% de rendement suffit généralement à rentabiliser l’opération.
L’intégration dans les itinéraires techniques demeure complexe, particulièrement dans les régions à faible pluviométrie où la compétition pour l’eau entre l’engrais vert et la culture suivante peut poser problème. La gestion du calendrier cultural, notamment dans les rotations serrées, exige une planification minutieuse. Les systèmes d’aide à la décision développés par la recherche agronomique contribuent à optimiser ces choix en fonction des conditions locales.
La recherche scientifique continue d’affiner notre compréhension des mécanismes en jeu. Les travaux sur les interactions plantes-microbiome ouvrent des perspectives prometteuses. La sélection d’espèces et de variétés spécifiquement adaptées à la fonction d’engrais vert progresse, avec des critères comme la vitesse de couverture du sol, la production de biomasse ou la capacité à mobiliser certains nutriments.
Politiques publiques et accompagnement des agriculteurs
Les politiques agricoles évoluent progressivement vers un soutien accru à ces pratiques. Les mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC) de la Politique Agricole Commune incluent désormais des incitations financières pour l’implantation de couverts végétaux. Certaines régions proposent des aides spécifiques dans le cadre de la protection des ressources en eau.
La formation et l’accompagnement technique des agriculteurs s’avèrent déterminants. Les réseaux d’agriculteurs pratiquant l’échange d’expériences, comme les GIEE (Groupements d’Intérêt Économique et Environnemental), jouent un rôle majeur dans la diffusion des bonnes pratiques et l’adaptation aux contextes locaux.
L’avenir de cette pratique s’inscrit dans une vision systémique de l’agriculture, où les engrais verts ne constituent pas simplement une technique isolée mais un élément d’une stratégie globale incluant diversification des rotations, réduction du travail du sol et intégration agriculture-élevage. Cette approche holistique permet de restaurer progressivement le capital sol, véritable fondement d’une agriculture durable et résiliente face aux défis climatiques.